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Lina Hadid

Lina Hadid, du Liban à l’astrophysique

Lina Hadid est née au Liban où elle a grandi. Elle rejoint l’Université Paris-Saclay grâce au master Erasmus Mundus SERP-Chem. Un seul cours sur les plasmas lui donne envie d’approfondir le sujet. Elle décroche un stage puis un doctorat au Laboratoire de Physique des Plasmas (LPP) à l’École polytechnique. Passionnée de physique et surtout d’astrophysique, elle rejoint le Swedish Institute of Space Physics (IRF) dans le cadre d’un post-doc puis l’Agence Spatiale Européenne (ESA) pour la mission Jupiter Icy Moons Explorer (JUICE) dont le lancement est prévu en 2022 vers Jupiter. Désormais, Lina est revenue au LPP en tant que chercheuse permanente avec un poste de chargée de recherche CNRS qu’elle a obtenu en avril 2019.

Vous êtes née au Liban et avez démarré vos études à Tripoli, pouvez-vous revenir sur ces années ?

J’ai eu la chance d’être scolarisée au Liban dans une école française de la maternelle au lycée. J’ai obtenu mon baccalauréat au Lycée Alphonse de Lamartine à Kfar Kahel (Koura, Nord du Liban). Il y a une grande influence culturelle de la France au Liban, j’ai toujours eu des amis français ! Le lycée français a été une vraie chance pour moi, j’ai bénéficié d’un enseignement de grande qualité donné par des professeurs libanais et français dans un milieu privilégié.

Après mon Bac, j’ai intégré la Faculté des sciences de l’Université Libanaise pour une Licence en Physique fondamentale. Cela a été un grand changement pour moi avec parfois plus de 700 étudiants dans un même amphithéâtre et en toile de fond, des conflits entre les différents partis politiques. J’ai toujours voulu faire de mon mieux pour pouvoir poursuivre mes études de master à l’étranger et éventuellement revenir au Liban afin de contribuer à un meilleur système éducatif. Durant ma troisième année, un de mes professeurs, qui avait étudié à l’Université Paris-Saclay, Adnan Naja, m’a encouragée à postuler au master international ERASMUS MUNDUS SERP-Chem.

Racontez-nous votre arrivée en France ?

J’ai toujours eu envie de quitter le Liban pour faire mon master et bien entendu j’ai toujours eu beaucoup d’affinités avec la France ! Comme ma sœur poursuivait déjà ses études en France à la fin de ma licence, la situation financière de mes parents ne permettait pas de soutenir nos études à toutes les deux. Le seul moyen pour moi était d’obtenir une bourse. J’ai postulé au master international Erasmus Mundus SERP-Chem de l’Université Paris-Saclay et j’ai obtenu une bourse pour laquelle je serai toujours reconnaissante. Je ne m’attendais pas du tout à être sélectionnée ! C’était le premier voyage de ma vie ! Je pensais avoir besoin d’une petite période d’adaptation, mais en arrivant en France, je ne me suis pas sentie dans un pays étranger ! Avec le master SERP-Chem j’ai retrouvé un système éducatif privilégié avec des professeurs très engagés.

Quels souvenirs gardez-vous du Master SERP-Chem de l’Université Paris-Saclay ?

Je n’ai que de bons souvenirs. Je pense que j’ai eu beaucoup de chance. Cela m’a permis d’étudier en France où le niveau et la qualité de vie sont plus élevés qu’au Liban. J’ai été très bien entourée par le personnel de Paris-Saclay pour mes démarches administratives qui peuvent être un peu compliquées quand on n’est pas français!
J’ai fait mon premier semestre en France à Orsay, puis je suis partie en Pologne à Poznan pour le deuxième semestre et en Italie à Gênes pour le troisième semestre, pour enfin revenir en France, au LPP à l’École Polytechnique pour mon stage de master. C’est vraiment un master ouvert sur le monde avec des étudiants de tous les horizons, y compris des pays en voie de développement. Beaucoup d’étudiants souhaitent étudier en Europe avant de retourner dans leur pays d’origine pour contribuer au développement. Évoluer dans un environnement international a été l’occasion de me confronter à d’autres cultures et manières de penser, ce qui a été un vrai enrichissement.

Comment êtes-vous passée du domaine de la chimie à celui de la physique ?

Durant mon master, je n’ai eu qu’un seul cours sur les plasmas mais cela m’a vraiment passionné. Lors de mon dernier semestre, j’ai souhaité faire mon stage au Laboratoire de Physique des Plasmas (LPP) à l’École Polytechnique car j’avais ressenti un vrai intérêt pour la physique de l’espace. Même si  c’était un choix inhabituel par rapport aux thématiques généralement choisies par les étudiants, j’ai été soutenue par la directrice du master Sandrine Lacombe et par mon directeur de stage (devenu ensuite mon directeur de thèse), Fouad Sahraoui, qui avaient confiance en moi ! Aujourd’hui, je ne regrette évidemment pas du tout ! J’ai d’ailleurs choisi de continuer à travailler sur ce sujet en optant pour une thèse que j’ai réalisée dans le même laboratoire.

Parlez-nous de votre thèse ?

Pour être vraiment précise, ma thèse portait sur l’étude des propriétés physiques de la turbulence et des mécanismes de chauffage du plasma dans l’environnement plasma proche de la Terre et de Saturne en utilisant des mesures in-situ de différents instruments à bord de différentes sondes spatiales comme celle de l’ESA/Cluster, la NASA/Cassini, et NASA/Themis.

Le plasma qui est le quatrième état de la matière (liquide, solide, gazeux), est un gaz ionisé. Plus de 99% de la matière visible de l’univers est sous la forme de plasma. Le Soleil émet en permanence un flux de plasma non collisionel, le vent solaire, qui se propage dans l’espace interplanétaire a une vitesse qui varie entre 400 et 800 kilomètres par seconde. Sur Terre, nous sommes protégés de ce vent solaire et des rayons cosmiques par le champ magnétique qui agit comme un bouclier, donc on ne les ressent pas directement. Par contre, lors de violentes tempêtes solaires, une grande quantité d'électrons et de protons venant du soleil arrivent dans la haute atmosphère de la terre. Ces particules sont prises au piège par le champ magnétique qui les force à se diriger vers les pôles magnétiques où elles interagissent avec les atomes d'oxygène et d'azote créant ainsi les aurores polaires de couleurs différentes.

Mes trois années en thèse étaient passionnantes mais aussi un grand challenge car personne n’avait jamais étudié les données de Cassini sous cet angle donc je savais que potentiellement mes travaux de recherche pouvaient mener à des découvertes intéressantes… ou pas !

J’ai beaucoup apprécié l’aspect collaboratif dans le domaine de la recherche au niveau national, mais aussi international et en général entre les différentes agences spatiales. A titre d’exemple, la mission Cassini est un projet collaboratif entre l’Agence spatiale européenne (ESA), la NASA, et l’Agence spatiale italienne (ASI). Ce qui est assez extraordinaire, c’est que la sonde Cassini a été lancée en 1997 mais elle est arrivée dans l’environnement de Saturne en 2004 avec 7 ans de trajet et a pris fin 13 ans plus tard en septembre 2017 ! Au-delà de l’aspect collaboratif, c’est un travail à très long terme pour plusieurs générations !

Après votre thèse, vous avez poursuivi en tant que chercheuse post-doctoral ?

Ma dernière année de thèse a été un vrai challenge car il m’a fallu terminer ma thèse et postuler pour trouver un post-doc qui me convienne. J’ai fait mon post-doc en Suède, à Uppsala, au Swedish Institute of Space Physics (IRF) où j’ai eu la chance d’analyser les données uniques de la phase finale de la mission Cassini qui a traversé pour la première fois l’espace entre Saturne et ses anneaux.

Ces deux années de recherches post-doctorales ont aussi été vraiment passionnantes et productives avec beaucoup de collaborations ! Le 15 septembre 2017 la sonde spatiale Cassini a terminé son voyage d’exploration remarquable du système solaire après de nombreuses années au service de la science planétaire et magnétosphérique.

Quelle est la découverte la plus importante ou la plus inattendue de la mission Cassini ?

La plus inattendue a été la découverte des panaches de particules de glace salée qui sont éjectées en continu (~ 1000 km/h) depuis une des lunes glacées de Saturne, prouvant qu’un océan salé pourrait se cacher sous sa surface. Cette découverte est importante, car elle montre que l’eau sous forme liquide peut exister sur des lunes glacées orbitant autour de géantes gazeuses, comme Saturne. En plus de l’eau, les instruments à bord de la mission Cassini ont détecté la présence de la matière organique et la chaleur au niveau des fractures.  Autrement dit, Encelade rassemble les conditions favorables à l'apparition de la vie.

Sur ce lien vous trouverez une des plus belles photos prises par Cassini, montrant l’anneau E (couleur bleuâtre), l’anneau le plus externe de Saturne formé par les geysers d'eau d'Encelade. https://www.jpl.nasa.gov/spaceimages/details.php?id=pia17172

Aujourd’hui où en êtes-vous dans les recherches autour de Cassini ?

Cassini était une mission, fruit de la collaboration entre différents pays, qui a pris fin le 15 septembre 2017. Cela ne signifie pas qu’elle est définitivement terminée car beaucoup de données scientifiques restent à exploiter.  Nous avons des réunions récurrentes (dans des meetings, conférences nationales et internationales, workshop, téléconférences,) pour mettre à jour nos résultats et tenir informée la communauté scientifique; à ce titre, je fais souvent des conférences à destination de la communauté spatiale. J’ai même réalisé quelques conférences à destination du grand public qui est toujours subjugué par le spatial.

Que faites-vous aujourd’hui ?

Je quitte l’Agence Spatiale Européenne (ESA) où je travaillais depuis le site de l’ESTEC aux Pays-Bas (il y a 7 sites en Europe) pour rejoindre le CNRS en tant que chargée de recherches au LPP.

Atelier les savanturiers animé par Lina Hadid

Vous aimez le contact avec le grand public ?

Oui la médiation scientifique est une démarche qui me tient vraiment à cœur. Durant ma thèse, j’ai fait partie de l’association « Les Savanturiers-École de la Recherche » qui est un programme éducatif afin d’initier les élèves à la recherche. J’ai participé et co-organisé la Fête de la Science sur le campus de Saclay.  En Suède, j’ai été membre des « Uppsala Amateurs Astronomers » qui offre au grand public des nuits dédiées à l’observation du ciel, des étoiles et des galaxies. J’ai fait quelques rares mais précieux « talk » à destination du grand public, concernant les découvertes de la mission Cassini.

Quels sont les enjeux d’un poste comme le vôtre ?

Le premier enjeu est en lien avec le grand public ! Nous avons une grande responsabilité car les travaux de recherches scientifiques nous permettent de découvrir et de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons. Ces travaux nous permettent d’élargir la réalité et nous donne un savoir sur ce que nous n'aurions jamais connu sans la science. C’est pourquoi c’est très important de renforcer le lien entre les recherches scientifiques et la société afin d’assurer la transmission du savoir. Nous ouvrons de nouveaux chapitres sur le domaine spatial pour les générations futures. 

Le second enjeu est le rapport au temps. Pendant ma thèse et mon post-doctorat, j’ai côtoyé des chercheurs qui ont travaillé longtemps sur un projet, et ils étaient déjà à la retraite au moment du lancement des sondes spatiales. Le partage est une valeur centrale, on ne peut pas travailler dans son coin, il faut toujours s’assurer de la continuité des projets scientifiques pour ainsi assurer l’évolution de la science.

Le dernier enjeu est l’international car de nombreux déplacements à l’étranger sont à prévoir surtout quand on travaille sur des projets qui rassemblent différentes agences spatiales! Chaque pays a ses points positifs et ses points négatifs, c’est l’occasion d’agrandir toujours un peu plus son réseau professionnel, personnel et culturel.

Interview de Sabine Ferrier,
Chargée du réseau des diplômés de l’Université Paris-Saclay, Direction de la Formation et de la Réussite.

Pour toute information sur le réseau des diplômés de l’Université Paris-Saclay, vous pouvez contacter Sabine Ferrier, chargée du réseau des diplômés à la Direction de la Formation et de la Réussite : alumni.upsaclay@universite-paris-saclay.fr, 01 69 15 33 29 (Bâtiment 330 campus d’Orsay).